L’atelier virtuel d’écriture Ted et Eux. Le premier thème est lancé par son créateur ; parler d’un objet qui nous est familier.
Je ne pensais pas participer à ce premier thème. La vie m’a donné un p’tit coup de pouce ou plutôt un p’tit coup d’épaule.
En raison d’un problème de santé avec une capsulite rétractile, je suis obligée de rester au repos chez moi. Ma chambre est donc l’environnement qui me tient compagnie depuis quelques jours avec ses objets qui la décore. Est-ce le fait de devoir rester au repos qui me fait me focaliser sur un objet en particulier ? Un objet qui me rappelle à la fois la mobilité et la souffrance. Un objet qui est là, accroché au mur, à côté de mon lit et qui ne m’a pas quitté depuis ma tendre enfance.
Je fixe ces deux formes reliées entre elles par leur ruban de satin rose. Il s’agit de mes chaussons de danse classique, mes pointes.
Mon regard se centre sur eux, et le traitement codéiné aidant, mon esprit s’évade et fait défiler une à une les images et sons de l’ensemble de mon parcours de danseuse de l’âge de 6 à 33 ans.
Petite blondinette, j’aimais retrouver mon papa à son entreprise tous les soirs à la sortie de l’école. Une entreprise de menuiserie dans laquelle une cinquantaine de compagnons s’activaient autour des établis. J’adorais sentir l’odeur de la sciure de bois, jouer avec les copeaux, entendre le bruit des ciseaux à bois et les rires des compagnons. A côté de l’entreprise se trouvait un club de sport, proposant diverses activités : gymnastique, judo, aïkido, kendo, danse,…
Ayant des problèmes de dos, mon père s’inscrivit dans ce club dans le but de faire de la gymnastique. Et comme toutes les petites filles, j’adorais être le plus souvent possible avec mon papa. Donc me voici partie avec lui, non pas pour faire de la gymnastique mais de la danse classique.
Je me revois essayer ma première tenue « Repetto » couleur rose dragée : le tutu, les collants, les demi-pointes. Je n’avais pas encore débuté mon premier cours, que je défilais droite et fière à la maison avec ma tenue de danseuse et m’imaginais sous les toits de l’opéra de Paris parmi l’ensemble de la troupe des p’tits rats. Je ne savais pas à cette époque que la danse allait m’accompagner durant toutes ces années. La danse classique fut ma complice durant mes 12 premières années de danseuse. Complice qui m’appris l’écoute, le respect, la rigueur, la droiture, l’humilité.
12 années au cours desquelles je me rendais deux fois par semaine à mon cours de danse. Arrivée dans la salle, j’y retrouvais mes copines, mon professeur et notre pianiste qui rythmait nos cours de sa mélodieuse musique classique. Il m’arrivait de temps en temps de fermer les yeux quelques secondes et imaginer mon père nous accompagner au piano. Il jouait très bien et j’aimais l’écouter et le regarder jouer du Bach, Chopin, Beethoven à la maison. Ce n’était qu’un rêve puisque pendant ce temps, lui s’appliquait à exécuter ses exercices de gymnastique consciencieusement.
Après deux années de travail intensif avec l’apprentissage à la barre du port de bras, de l’attitude, de la souplesse du corps puis des pas de base et de son terrible grand écart, j’étais toute excitée à l’idée de pouvoir enfin chausser les pointes. Je me rappelle notre professeur nous demander de commander nos pointes à l’issue d’un défilé en saut de chat. Je regardais à ce moment mes pieds et tel dans un conte de fée, je sentais mes demi-pointes s’endurcir et voyais un ruban de satin enlacé mes chevilles.
J’allais enfin pouvoir me tenir sur la pointe des pieds!!!...
Etre légère et faire des bonds telle une biche à l’orée du bois. Cette image ne m’était pas venue par hasard à l’esprit puisque la photo d’un bois décorait le mur de notre salle de danse. Etait-ce pour faire joli tout simplement ou nous suggérer la légèreté dans nos déplacements ou les deux ? Il est vrai que lorsque nous faisions trop de bruit, notre professeur nous reprenait par des : « Mesdemoiselles, voyons !!!... ». Tout de suite, nos déplacements devenaient aussi légers qu’une plume. C’était une belle femme mais impressionnante avec son bâton de bois dans la main. Bâton qui lui servait à accompagner la pianiste et rythmer nos pas, là où nous devions les accentuer.
Je ne savais pas au début à quel prix je devais payer ce sentiment de légèreté et les souffrances que j’allais devoir endurer.
Pour pouvoir se tenir sur la pointe des pieds, la plate-forme, c’est-à-dire la partie avant du chausson est dure, dure comme du bois et demande à la danseuse de donner une forte impulsion sur le talon. Je réentends mon professeur nous ordonner : « Poussez, levez, … poussez, levez ! »
Je vous laisse, au travers de cette vidéo, découvrir la fabrication des pointes : La fabrication des pointes
Tout en regardant cette vidéo, j’observe les miens, accrochés au mur. La belle couleur de satin rose a passé avec le temps et est plutôt couleur gris-rose. La plate-forme quant à elle est usée, usée par les entraînements et différents ballets. Je décide de les prendre en main. Cela fait un moment que je n’ai pas touché à mes chaussons. Je redécouvre le toucher soyeux du satin et observe à l’intérieur quelques traces de sang. Je me rappelle… comme j’ai pu saigner des pieds au début. J’avais beau mettre du coton à l’intérieur du chausson pour adoucir le choc entre la dureté du pavé et le bout de mes doigts de pieds. Cela ne faisait pas grand-chose et celui qui a le plus souffert est le gros orteil.
Pour calmer et atténuer la douleur, rien ne vaut la pratique ! Tel le jeune guitariste pinçant les cordes de sa guitare pour la première fois et terminant son cours avec des ampoules sur les doigts. Les doigts de sa main doivent s’habituer à la dureté des cordes comme les doigts de pieds de la danseuse à la dureté du pavé.
Toute cette souffrance est oubliée le jour du premier ballet. Ballet qui avait pour thème les quatre saisons. J’incarnais le printemps, vêtue de mon tutu rose et de son grand voile de tulle, mes pointes roses et un voile de tulle vert accroché à mes mains à l’aide de deux anneaux. Deux anneaux transparents de rideaux que ma mère avait pris dans sa boite de couture. Nous étions là, toute la troupe, à défiler au grès de la musique et évoquer aux spectateurs les sensations des différentes saisons. Une fois sur la scène, les pas sont emportés par la musique et les applaudissements.
Un instant de pur bonheur!...
Après douze années de danse classique, j’éprouvais le besoin de découvrir autre chose.
Ce besoin m’a été suggéré par mon professeur de gymnastique du lycée Buffon à Paris dans lequel j’étais. Un jour elle fit venir un grand percussionniste et danseur qui donnait à l’époque des cours de danse africaine à l’école américaine de danse. Il s’agit de GUEM.
Je vous laisse écouter ce morceau que vous avez certainement déjà entendu à plusieurs reprises et qui nous servait de tempo pour nos entraînements : GUEM : Le serpent
Je suivis juste quelques cours, Guem n’étant venu que peu de fois au lycée. Mais le peu de cours suivis, m’apprirent à repenser ma manière de danser. Fini les pointes, les chaussons. La danse africaine se danse pieds nus.
Je découvris l’art d’écouter, de chanter et danser sur le son des percussions. Il est vrai qu’il est beaucoup plus facile de vivre la musique à partir du moment où il nous est possible de la chanter. Chanter sur le son des percussions via des « Doudoum !... Tam !... Doudoum !... DoumTam !...»
Guem nous enseigna ceci ainsi que la manière de dissocier les différentes parties de notre corps. Apprendre à bouger séparément la tête, les épaules, le torse, le bassin, les jambes et peu à peu réassembler chacune de ces parties pour en former un déplacement harmonieux.
Le BAC en poche, fini le lycée, fini Guem.
Je ne souhaitais pas arrêter la danse et ai donc poursuivis mon apprentissage. Je fis un peu de danse moderne puis de la modern jazz. Mais le son des percussions me manquait et ai donc renoué avec la danse africaine jusqu’à l’âge de 33 ans. Date à laquelle j’ai arrêté la danse pour m’occuper de mes enfants.
Après une interruption de 15 années, je souhaite aujourd’hui non pas rechausser mes pointes mais de nouvelles chaussures, celles qui me permettront de vibrer sur le rythme de la salsa, synonyme de complicité et sensualité.
Danse avec les pieds, avec les idées, avec les mots, et dois-je aussi ajouter que l'on doit être capable de danser avec la plume ? [Friedrich Nietzsche] … Au prochain thème Thierry J
Article dans son contexte du blog "Atelier d'écriture virtuel Ted et Eux" : http://tde.typepad.com/thierry_do_blog/pointe-des-pieds.html